Alors que les agriculteurs et les éleveurs, le monde rural en général, sont confrontés à une crise dont l’intensité n’a pas été observée depuis longtemps, crise née des causes conjointes que sont la baisse des revenus, la suppression des services publics, l’éloignement des responsables politiques et des administrations, la constitution des communautés de communes surdimensionnées et inadaptées au paysage général, les autorités n’y ont répondu qu’en parlant de prix, d’interventions étatiques ou de subventions. Les prix et les subventions sont évidemment des soucis importants qu’il faut garder en tête, mais l’un des problèmes souvent négligés c’est qu’il n’existe pas en Europe une seule agriculture, mais bien deux. Deux agricultures qui se font face, se confrontent et représentent deux modes de vie, deux cultures.

Le premier type d’agriculture est celui qui se charge de produire des « aliments » en quantité et au moindre prix ; qui pour assurer sa rentabilité invente de fait une agriculture hors sol, déconnectée de la nature, où les bêtes, bovins, porcs, ovins, sont renfermés dans des usines à engraisser, où les aliments préfabriqués leur sont fournis mécaniquement. Dans cette agriculture-ci, ne demeure plus aucune spécificité dans la production : on ne voit nul lien entre la région, son climat, ses sols, ses paysages et la production agricole. C’est l’agriculture industrialisée, qui a fait les belles heures de la révolution verte et rassure les statisticiens et les fanatiques de la courbe de croissance.
A l’opposé, il y a celle qui conduit l’homme à élever ses animaux, à cultiver ses végétaux. Celle pour qui chaque élevage, chaque culture sont spécifiques car liés, eux, au lieu d’élevage, au climat, à la terre, à la nourriture. Les produits résultant de cet élevage ou de cette culture sont protégés par des appellations d’origine, ou des labels.. Il est évident que l’on ne peut pas soumettre ces deux agricultures aux mêmes règles, puisque la deuxième participe de la protection des paysages, de la sécurité générale même, et de l’enrichissement biologique.
L’agriculture n’est pas seulement une science, mais d’abord un art. On voudrait la réduire à une technique de production, à une normalisation, à un calibrage. Mais l’identité d’un pays, les facteurs agricoles, culinaires, gastronomiques tiennent une place prééminente. Il n’y a pas d’aménagement du territoire sans agriculture territorialisée. Il n’y a pas de tourisme non plus sans cette agriculture, qui participe à la valorisation des paysages.
Aujourd’hui, ce sont bel et bien deux Europe agricoles qui se font face. Et sur 1500 produits européens sous protection d’origine (hors vins et spiritueux), 75% sont nés en Europe du sud, c’est-à-dire en Italie, en France et en Espagne.
Quand l’Allemagne sature le marché du cochon par ses fermes-usines à méthanisation, c’est l’Europe entière qui en souffre, témoin les manifestations récurrentes de producteurs de porc. L’Europe confrontée à la libre et hâtive étendue de son marché intérieur, qui sans règles ne favorise pas la qualité, mais la productivité frénétique. Le récent traité Transatlantique signé ne fera qu’empirer la situation.
Les pouvoirs publics et les diverses strates professionnelles et locales doivent prendre conscience que la crise ne se résoudra pas simplement avec des leviers financiers, qui ne sont que des pansements éphémères. Il faut promouvoir l’agriculture de qualité, localisée, sous toutes ses formes. Le maintien de la paysannerie dans le sens noble passe par un vrai choix de civilisation.