France Info se doutait, le 7 décembre, que tout n’irait pas aussi facilement que le vote à l’Assemblée nationale. En effet, ce jour-là, la rédaction web de la chaîne publique d’information continue titrait, à juste titre : « Congélation d’ovocytes : un espoir à relativiser. » En octobre, les députés avaient adopté l’autorisation de la congélation des ovocytes pour toutes les femmes mais l’avenir du projet dépendait aussi du vote des Sénateurs…qui ont, à la surprise générale, rejeté l’ouverture de l’autoconservation des gamètes pour raison sociétale. A 119 voix contre 119, l’article n’a pas su trouver de majorité…
Ouf disent ceux qui depuis deux semaines manifestent presque tous les soirs, devant le Sénat pour s’opposer au projet actuel de révision des lois de bioéthiques et plus particulièrement à la PMA pour toutes les femmes.
Désespoir disent les partisans de l’émancipation des femmes. France Info estime que ce serait une belle avancée et argumente simplement en expliquant que cela répondrait à une évolution sociétale. Le progrès, toujours le progrès !
L’allongement de la durée de vie, l’entrée plus tardive dans la vie active, le désir des femmes de mener une carrière professionnelle : « La congélation des ovocytes permet d’avoir un peu de répit, de se détendre face à la pression de l’horloge biologique. Cela rassure les femmes qui souhaiteraient réaliser un projet parental plus tard. »
D’ailleurs, comme toujours, l’argument de fait ne tarde pas à arriver : les femmes pratiquent déjà la congélation de leurs ovocytes mais sont contraintes de le faire à l’étranger dans les pays où cela est autorisé.
Le Parisien, L’Express, choisissent eux, l’argument émotionnel et font témoigner des femmes. Juliette, qui consulté un médecin français qui contourne la loi, se sent hors la loi Cette championne de haut niveau, qui souhaite garder l’anonymat, est allée à l’étranger parce que « La France lui refuse le droit de disposer de son corps ». Il ne manque plus que le magazine Elle pour banaliser la pratique. Dans un article du 24 janvier dernier, le lecteur, enfin, la lectrice découvrira que la congélation de ses ovocytes est tellement commune que c’est devenu un sujet naturel et fréquent des dîners en ville. L’article mélangeant, outrageusement la pratique pour raison médicale -autorisée- et la pratique sociétale.
La totalité des témoignages lisibles sur la pratique sociétale racontent la même histoire. Il s’agit d’une femme, toujours CSP+, à la carrière professionnelle brillante qui se retrouve aux alentours de 35 ans célibataire ou mal accompagnée et prend peur. L’horloge biologique lui rappelle qu’elle quitte doucement l’âge le plus favorable pour la maternité. Elle ne veut pas faire un enfant toute seule mais dans le doute met toutes les chances de son côté et refuse de s’interroger sur le fiasco de sa vie affective, lui préférant la satisfaction d’une vie professionnelle réussie. Alors, elle prend en main son destin reproductif. Il se peut que lors d’un dîner, une de ses voisines de table lui donne, à haute voix, le nom d’un médecin. Un médecin qui comme la responsable du Centre de préservation de la fertilité du CHRU de Lille, a une interprétation extensive de la loi et trouvera bien l’indication médicale pour entrer dans le cadre légal. Ainsi, une réserve ovarienne un peu basse suffit pour se faire rembourser par la Sécurité sociale.
La voici donc partie dans la grande aventure de la médicalisation de sa maternité : injection d’hormones, rendez-vous solitaires et matinaux à l’hôpital… pour une maternité pas si garantie. Les chances de réussite pour une grossesse à base d’embryons ou de gamètes congelés sont de 10 à 22 % selon l’Inserm.
Derrière cette maladroite et douloureuse émancipation de la femme, qui encore une fois, use de la technique la plus invasive pour disposer de son corps, le monde de l’entreprise se frotte les mains. La congélation des ovocytes le dispense d’un grand nombre de congés maternité dans le sérail de ses jeunes collaboratrices, celles qui travaillent beaucoup, sont en bonne santé et surtout ne coûtent pas encore le salaire d’un senior… Les femmes qui se battent pour la légalisation de la congélation des ovocytes devraient se méfier, ce n’est pas par hasard, si en 2014, les entreprises américaines Facebook, Google et Apple ont annoncé qu’elles allaient financer la pratique pour leurs salariées… Pourquoi les femmes ont-elles oublié que chez les GAFAM, rien n’est gratuit ? Car là, le produit c’est elles, enfin leur disponibilité au travail et leur fidélité à l’entreprise.
Certes, il y a peu de chances pour qu’en France, l’employeur finance la conservation mais la couverture du Bloomberg Businessweek est claire : « Congelez vos ovocytes, libérez votre carrière ! »
Pas certaine que ce soit l’émancipation que je souhaite !
Enfin, j’dis ça ; j’dis rien !
Chronique de Clotilde Brossollet
Diffusée sur Radio Espérance le 31 janvier 2020.